mercredi 20 novembre 2013

y a-t-il de l’irrationnel ?

dissertation de philosophie : y a-t-il de l’irrationnel ?

par Giulia terminale S

Y a-t-il de l’irrationnel ?
L’irrationnel c’est une difficulté sur laquelle la raison vient buter, ce qui nie la raison. On dit que quelque chose est irrationnel lorsqu’elle semble ne pas avoir de sens, qu’elle ne peut pas être justifiée, qu’elle est imprévisible, illogique, incohérente. L’irrationnel représente pour cela une déviance par rapport à la raison. Ainsi, un acte, un comportement fait en désaccord avec soi-même sont caractérisés comme irrationnels, tout comme lorsque on agit contre ses propres principes ou on pense une chose et son contraire. Le sujet pose la question de l’existence de l’irrationnel : on peut souvent se demander si l’irrationnel existe véritablement en soi, ou si il n’est pas plutôt une construction typiquement humaine qui peut être complètement réduite pas la raison. Enfin, on pourrait plutôt voir que la présence d’irrationnel n’entraîne pas la démission de la raison : c’est bien au contraire, le moteur du rationnel, nécessaire dans la majorité des pratiques humaines.
L’irrationnel trouve d’abord sa prise dans les passions humaines. En effet, il s’agit d’un ensemble des pensées involontaires qui sont en nous sans nous. Elles semblent irrationnelles car on en ignore la cause. Il y a passion quand un désir, parvenu à dominer et orienter tous les autres, aveugle l’homme au point qu’il en devient dépendant. Une passion peut donc prendre le dessus sur notre raison. Ainsi Shakespeare dans Othello affirme que « ils ne sont pas jaloux pour une raison, mais parce qu’ils sont jaloux. La jalousie ? Un monstre qui s’engendre lui-même et naît de ses propres entrailles. ». La jalousie exprime toute la logique de la passion : lorsqu’on est jaloux on interprète le monde en fonction des nos passions, on croit voir dans toutes choses un indice qui confirme nos hypothèses. Le hasard fait le même raisonnement : pour Hume, le hasard n’est que l’ignorance dans lequel nous trouvons des causes véritables. Ainsi on peut dire qu’une pierre est tombée sur quelqu’un pour le tuer ou bien par hasard, il s’agit dans les deux cas du même événement, mais dès lors qu’il met en jeu l’homme, on en donne une nouvelle interprétation. Mais l’irrationnel peut aussi représenter une menace, comme c’est la cas pour la religion. La superstition, c’est-à-dire croire que la pratique du culte fait de nous de bons religieux, comme l’exaltation c’est-à-dire croire que l’on peut rentré en communication avec Dieu, représentent deux folies irrationnelles.
L’irrationnel apparaît comme un obstacle pour la raison, notamment dans le cas des passions, qui pour atteindre la sagesse devraient être éliminées ou du moins dominées ou de la religion qui, selon Kant, se doit de rester dans les limites de la simple raison. L’irrationnel semble nous renvoyer au domaine de la faute logique puisque on interprète faussement le monde (le hasard ou la superstition correspondent à une interprétation de l’univers en fonction de nos affects) mais alors dire qu’il y a de l’irrationnel en soi équivaut à faire démissionner la raison. En tant que limite permanente de la raison, l’irrationnel l’humilie puisque celle-ci ne saurait rendre compte de tout. La présence d’irrationalité, pose la faiblesse du rationnel : la raison doit abdiquer. De plus, la présence d’irrationnel pose la question de notre liberté. Serions-nous soumis à des forces dont nous ne percevrions pas les mécanismes ? Si c’était le cas, connaître les mécanismes psychologiques liés à l’irrationnel représenterait alors un outil de domination qui expliquerait notament la propagande publicitaire.
Il semblerait que l’irrationnel existe, posant alors le problème de la légitimité de la raison. Mais, on peut aussi voir que l’irrationnel est provisoire, qu’il peut être complètement réduit pas la raison. Ainsi, on pourrait trouver une logique dans toutes choses en remarquant qu’un acte apparemment absurde a en fait un sens caché. En reprenant l’exemple des passions, définies précédemment comme un ensemble des pensées involontaires qui sont en nous sans nous et qui apparaissent irrationnelles car on en ignore la cause on peut en fait montrer qu’il est possible de les rationaliser. Ainsi, pour Descartes, la cause d’une passion est toujours corporelle et l’effet est spirituel : c’est une phénomène causé dans l’âme par l’action du corps. Rationaliser ses passions équivaudrait alors à rechercher le mécanisme corporel qui en est à l’origine. Descartes analyse alors les mystères de la vie affective et cherche des explications à la part d’irrationnel qui accompagne le plus souvent la naissance des passions. Évoquant un souvenir d’enfance, il cherche à comprendre pourquoi l’amour qu’il a un jour porté à une jeune fille un peu disgracieuse l’a marqué au point qu’il conserve à son insu, longtemps après cette expérience, une attirance plus forte pour les personnes qui louchent que pour les autres. Un défaut, surtout physique, ne saurait empêcher la naissance d’une passion, dès lors qu’il appartient à une personne dont les qualités d’esprit sont évidentes : dans ce cas, conclut Descartes, les passions sont même à leur façon rationnelles, voire éminemment morales, parce qu’elles « ont leur cause en l’esprit, et non dans le corps ». Dans ce sens, Freud, en posant l’existence d’un inconscient qui me détermine à mon insu, affirme qu’il se produit en nous des phénomènes psychiques dont nous n’avons pas conscience, mais qui déterminent certains de nos actes conscients. Ainsi, nous pensons nous connaître, mais nous ignorons pourquoi nous avons de l’attrait ou de la répulsion à l’égard de certains objets. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet attrait n’est pas irrationnel : c’est le résultat d’un conflit intérieur entre des désirs qui cherchent à se satisfaire et une personnalité qui leur oppose résistance, il provient d’une rupture d’équilibre entre le surmoi, le ça et le moi. L’irrationnel se veut inexplicable, or, l’intervention d’un tiers, le psychanalyste, peut délivrer l’homme du conflit entre lui et lui-même en rendant compte du sens profond de certains de nos actes, actes dont nous avions conscience mais dont la signification profonde nous échappait. En donnant l’exemple des passions qui peuvent être rationalisées ou du moins expliquées, on est en train de monter que l’irrationnel dépend du comportement humain. Il n’existe pas en soi, mais il est en nous. De même, Bergson et Aristote interprètent le hasard comme quelque chose qui n’appartient qu’a nous.
En tant que typiquement humain, l’irrationnel peut venir des passions, de la superstition - nous l’avons montré -, mais aussi du manque de connaissance. Dans ce sens, l’avancé de la science provoquerait alors le recul de l’irrationnel.
Ce qui aujourd’hui semble irrationnel à nos yeux, ne le sera peut-être plus demain : la crise des nombres irrationnels met bien en évidence cette évolution. Au Ve siècle, en Grande Grèce, les pythagoriciens constatent qu’il existe une grandeur qu’aucun nombre de peut mesurer. En effet, ils ne considérait comme nombre que les nombres entiers et aussi les fractions, nommées plus tard, fractions rationnelles, comme rapports entre des entiers. La découverte de la diagonale du carré de coté 1 perturba tout le système. Quel rapport y-avait-il entre les deux ? Pour le savoir, on chercha la longueur de la diagonal et par le théorème de Pythagore on trouva que la longueur de la diagonale est un nombre dont le carré est 2. Quel est ce nombre ? C’est peu dire que les grecs le cherchèrent, mais aucun nombre, aucune fraction ne convenait. Les grecs, pour montrer sa non-existence, ont alors chercher à démonter que ce nombre ne pouvait pas exister : la diagonale et le coté sont incommensurables. Mais ce simple carré et sa diagonale recelèrent alors un abîme dans lequel sombrèrent des certitudes. Le coté et la diagonale d’un même carré n’admettent aucune commune mesure, ce qui veut dire qu’on ne peut pas connaître exactement les deux à la fois et pourtant tout les deux peuvent être dessinés et s’exposent avec le même degré de « réalité ». La coexistence de ces deux grandeurs prouva que la réalité était plus riche que les nombres. Ce scandale logique bouleversa la société grecs. Pour l’avoir divulgué à l’extérieur du cercle des pythagoriciens, Hippase de Métaponte péri dans un naufrage. L’exemple des nombres irrationnels montre que quelque chose, qui avait d’abord été défini d’inexprimable (alogon) peut ensuite, après avoir entraîné une reconstruction de tout l’édifice mathématique et une extension du domaine accessible au calcul, être acceptée et enseignée. Cela montre que la science progresse en gagnant du terrain contre son contraire, l’irrationnel. En termes strictement scientifiques en effet, est rationnel tout ce qui est reconnu par le savoir scientifique. Au contraire, est irrationnel ce qui appartient au domaine de la pensée préscientifique. La rationalité scientifique consiste alors à aller contre l’irrationnel, c’est-à-dire donner une formulation positive (scientifique, au sens d’Auguste Comte) à tout. Le positivisme considère que seules l’analyse et la connaissance des faits réels vérifiés par l’expérience peuvent expliquer les phénomènes du monde sensible. La certitude en est fournie exclusivement par l’expérience scientifique. Il rejette l’introspection, l’intuition et toute approche métaphysique pour expliquer la connaissance de phénomènes. Le progrès scientifique semble donc contribuer au recul de l’irrationnel.
Si l’on peut penser que la science contribue au recul de l’irrationnel, Hegel, grand penseur de la raison, soutient, lui, une thèse plus radicale. En effet, il affirme que « tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel. ». Avec une telle formulation, on peut croire que tout ce qui tombe en dehors de la raison est de l’ordre de l’inexistant, de l’illusoire ou du superflu. Le rationalisme dogmatique de Hegel fait donc le choix de chasser l’irrationnel en dehors de la réalité : on n’accorde une réalité que à ce que la raison peut expliquer.
On a donc affirmé que l’irrationnel semble provisoire et potentiellement, il pourrait être complètement réduit. Mais, si alléguer la présence de l’irrationnel posait le problème de la démission de la raison, dans l’autre sens, dire qu’il n’y pas d’irrationnel, c’est poser l’hégémonie de la rationalité : on affirme alors que tout peut être expliqué par la raison. Cela témoigne dans un sens de la présomption de l’homme.
A l’opposé de Hegel, Pascal affirme que « La raison doit reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent : elle n’est que faible si elle ne va pas jusqu’à reconnaître cela. ». Accepter qu’il puisse y avoir de l’irrationnel, c’est être rationnel. Il est rationnel de reconnaître les limites de la raison. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore », dit-il. Ainsi Pascal, reconnaît deux ordres distincts : celui de la raison et celui du cœur, c’est-à-dire de la foi. Ainsi, il est certain que l’on ne peut pas ramener à un ordre rationnel, ni réduire à un sous-produit de tendances inconscientes toutes sorte d’expériences, comme des expériences spirituelles. De même, il y a dans l’inspiration artistique un mystère que l’on ne peut pas ramener simplement à une production rationnelle : les artistes doivent en effet sortir de la construction rigide de la raison. C’est d’ailleurs pourquoi, alors que le cerveau construit une méthode, transmet de façon didactique ses découvertes et ses démarches (dans les choses de la raison, tout doit être communicable), le génie artistique est incommunicable. Mais si l’art n’est pas rationnel, il n’est pas pour autant bestial c’est-à-dire complètement irrationnel. Ces exemples, foi et art, montre que de nombreuses expériences ne peuvent pas être entièrement ramenées à un ordre rationnel mais ne sont pas non plus réduites à l’irrationalité de notre inconscience : il s’agit d’un milieu.
Même dans la science, qui se présente pourtant comme le domaine même de la raison, irrationalité et rationalité se confondent. Comment est-il possible que le monde se plie si bien aux lois de notre esprit ? Par exemple, le "nombre d’or" , appelé aussi "divine proportion", est présent dans toutes sortes de représentations naturelles : agencement d’une graine de tournesol, spirale dessinée par la coquille de certains mollusques, bras de la Voie lactée et même dans la croissance des populations de lapins, décrite par Fibonacci au Moyen-Age. Il apparaît presque « irrationnel » que des phénomènes naturels aussi différents l’un de l’autre soient liés par un simple nombre, qui symbolise désormais l’inégalable harmonie, comme dans les œuvres de grands artistes de Vitruve à Salvador Dali et de Léonard de Vinci à Le Corbusier. Einstein affirma que « ce qu’il y a d’incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible ». En effet, le fait de dire que la science, le cosmos obéissent à des lois mathématiques manifeste une sorte d’irrationalité au cœur même des victoires de la raison. De plus, les découvertes scientifiques proviennent souvent d’une intuition. Cela s’oppose alors à une déduction, qui se doit de respecter des règles de logique. Pour Descartes une intuition est un acte de saisie immédiate de la vérité. Chez Kant, l’intuition désigne la façon dont une objet nous est donné, et il ne peut y avoir pour l’homme que des intuitions sensible. Il semble qu’une intuition puissent trouver sa mise en forme dans des influences irrationnelles. La science, elle aussi, n’est donc pas seulement rationnelle : on ne pourrait d’ailleurs opposer rationnel et irrationnel, puisque le rationnel naît sur le terrain de l’irrationnel. Par exemple, c’est grâce à l’alchimie que la chimie est née, c’est par le travail des astrologues que les astronomes ont étudié l’univers : en règle général, les sciences occultes servent souvent de base pour les sciences positives.
Au lieu de marquer une opposition, il serait donc peut être plus juste de marquer une continuité. Croire que tout est rationnel, c’est peut-être le comble de l’irrationnel ou pour sur de la déraison : expulser l’irrationnel ne serait-ce pas expulser le désir, les tendances et donc les forces sans lesquelles il serait difficile de bien vivre. Ce qui est ne se laisse pas facilement découper en catégories tranchées, les choses du réel sont plutôt mêlées : toute production humaine, actions humaines, pensées oscillent entre les deux sources, comme dans le cas de l’art. On ne peut dans ce sens prétendre posséder sur nos pensés un empire rationnel constant, puisque déjà dans les rêves, la pensée est livrée a elle-même.
On a donc montré dans un premier temps que l’irrationnel semble bien exister, notamment dans le domaine des passions, du hasard ou de la superstition. L’irrationnel apparaît alors comme un obstacle pour la raison ce qui pose le problème de la faiblesse du rationnel : la raison ne devrait-elle pas abdiquer ? Mais, on a montré ensuite que l’irrationnel est provisoire, qu’il peut être complètement réduit pas la raison. Ainsi, on pourrait trouver une logique dans tout, même dans les passions. L’irrationnel n’existe donc pas en soi, mais n’appartient qu’a nous. Enfin, on a montré que la majorité des pratiques humaines ne peut pas être entièrement ramenée à un ordre rationnel mais n’est pas non plus réduite à l’irrationalité de notre inconscience : irrationnel et rationnel seraient donc deux contraires nécessaire pour expliquer le réel. Pour Hegel en effet, les passions, qui témoignent visiblement de l’irrationnel, résultent d’une ruse de la raison : pour se développer elle se sert de son autre, de son contraire. Selon Hegel, l’irrationnel se révèle comme moteur du rationnel. Pour que ce dernier puisse s’exercer il lui faut des résistances, l’irrationnel les lui fournit. Il semble en ce sens que l’irrationnel soit finalement la raison d’être du rationnel.