dissertation de philosophie : y a-t-il de l’irrationnel ?
par Giulia terminale S
Y a-t-il de l’irrationnel ?
L’irrationnel c’est une difficulté sur laquelle la
raison vient buter, ce qui nie la raison. On dit que quelque chose est
irrationnel lorsqu’elle semble ne pas avoir de sens, qu’elle ne peut pas
être justifiée, qu’elle est imprévisible, illogique, incohérente.
L’irrationnel représente pour cela une déviance par rapport à la raison.
Ainsi, un acte, un comportement fait en désaccord avec soi-même sont
caractérisés comme irrationnels, tout comme lorsque on agit contre ses
propres principes ou on pense une chose et son contraire. Le sujet pose
la question de l’existence de l’irrationnel : on peut souvent se
demander si l’irrationnel existe véritablement en soi, ou si il n’est
pas plutôt une construction typiquement humaine qui peut être
complètement réduite pas la raison. Enfin, on pourrait plutôt voir que
la présence d’irrationnel n’entraîne pas la démission de la raison :
c’est bien au contraire, le moteur du rationnel, nécessaire dans la
majorité des pratiques humaines.
L’irrationnel trouve d’abord sa prise dans les passions
humaines. En effet, il s’agit d’un ensemble des pensées involontaires
qui sont en nous sans nous. Elles semblent irrationnelles car on en
ignore la cause. Il y a passion quand un désir, parvenu à dominer et
orienter tous les autres, aveugle l’homme au point qu’il en devient
dépendant. Une passion peut donc prendre le dessus sur notre raison.
Ainsi Shakespeare dans Othello affirme que « ils ne sont pas jaloux pour
une raison, mais parce qu’ils sont jaloux. La jalousie ? Un monstre qui
s’engendre lui-même et naît de ses propres entrailles. ». La jalousie
exprime toute la logique de la passion : lorsqu’on est jaloux on
interprète le monde en fonction des nos passions, on croit voir dans
toutes choses un indice qui confirme nos hypothèses. Le hasard fait le
même raisonnement : pour Hume, le hasard n’est que l’ignorance dans
lequel nous trouvons des causes véritables. Ainsi on peut dire qu’une
pierre est tombée sur quelqu’un pour le tuer ou bien par hasard, il
s’agit dans les deux cas du même événement, mais dès lors qu’il met en
jeu l’homme, on en donne une nouvelle interprétation. Mais l’irrationnel
peut aussi représenter une menace, comme c’est la cas pour la religion.
La superstition, c’est-à-dire croire que la pratique du culte fait de
nous de bons religieux, comme l’exaltation c’est-à-dire croire que l’on
peut rentré en communication avec Dieu, représentent deux folies
irrationnelles.
L’irrationnel apparaît comme un obstacle pour la raison,
notamment dans le cas des passions, qui pour atteindre la sagesse
devraient être éliminées ou du moins dominées ou de la religion qui,
selon Kant, se doit de rester dans les limites de la simple raison.
L’irrationnel semble nous renvoyer au domaine de la faute logique
puisque on interprète faussement le monde (le hasard ou la superstition
correspondent à une interprétation de l’univers en fonction de nos
affects) mais alors dire qu’il y a de l’irrationnel en soi équivaut à
faire démissionner la raison. En tant que limite permanente de la
raison, l’irrationnel l’humilie puisque celle-ci ne saurait rendre
compte de tout. La présence d’irrationalité, pose la faiblesse du
rationnel : la raison doit abdiquer. De plus, la présence d’irrationnel
pose la question de notre liberté. Serions-nous soumis à des forces dont
nous ne percevrions pas les mécanismes ? Si c’était le cas, connaître
les mécanismes psychologiques liés à l’irrationnel représenterait alors
un outil de domination qui expliquerait notament la propagande
publicitaire.
Il semblerait que l’irrationnel existe, posant alors le
problème de la légitimité de la raison. Mais, on peut aussi voir que
l’irrationnel est provisoire, qu’il peut être complètement réduit pas la
raison. Ainsi, on pourrait trouver une logique dans toutes choses en
remarquant qu’un acte apparemment absurde a en fait un sens caché. En
reprenant l’exemple des passions, définies précédemment comme un
ensemble des pensées involontaires qui sont en nous sans nous et qui
apparaissent irrationnelles car on en ignore la cause on peut en fait
montrer qu’il est possible de les rationaliser. Ainsi, pour Descartes,
la cause d’une passion est toujours corporelle et l’effet est
spirituel : c’est une phénomène causé dans l’âme par l’action du corps.
Rationaliser ses passions équivaudrait alors à rechercher le mécanisme
corporel qui en est à l’origine. Descartes analyse alors les mystères de
la vie affective et cherche des explications à la part d’irrationnel
qui accompagne le plus souvent la naissance des passions. Évoquant un
souvenir d’enfance, il cherche à comprendre pourquoi l’amour qu’il a un
jour porté à une jeune fille un peu disgracieuse l’a marqué au point
qu’il conserve à son insu, longtemps après cette expérience, une
attirance plus forte pour les personnes qui louchent que pour les
autres. Un défaut, surtout physique, ne saurait empêcher la naissance
d’une passion, dès lors qu’il appartient à une personne dont les
qualités d’esprit sont évidentes : dans ce cas, conclut Descartes, les
passions sont même à leur façon rationnelles, voire éminemment morales,
parce qu’elles « ont leur cause en l’esprit, et non dans le corps ».
Dans ce sens, Freud, en posant l’existence d’un inconscient qui me
détermine à mon insu, affirme qu’il se produit en nous des phénomènes
psychiques dont nous n’avons pas conscience, mais qui déterminent
certains de nos actes conscients. Ainsi, nous pensons nous connaître,
mais nous ignorons pourquoi nous avons de l’attrait ou de la répulsion à
l’égard de certains objets. Contrairement à ce que l’on pourrait
penser, cet attrait n’est pas irrationnel : c’est le résultat d’un
conflit intérieur entre des désirs qui cherchent à se satisfaire et une
personnalité qui leur oppose résistance, il provient d’une rupture
d’équilibre entre le surmoi, le ça et le moi. L’irrationnel se veut
inexplicable, or, l’intervention d’un tiers, le psychanalyste, peut
délivrer l’homme du conflit entre lui et lui-même en rendant compte du
sens profond de certains de nos actes, actes dont nous avions conscience
mais dont la signification profonde nous échappait. En donnant
l’exemple des passions qui peuvent être rationalisées ou du moins
expliquées, on est en train de monter que l’irrationnel dépend du
comportement humain. Il n’existe pas en soi, mais il est en nous. De
même, Bergson et Aristote interprètent le hasard comme quelque chose qui
n’appartient qu’a nous.
En tant que typiquement humain, l’irrationnel peut venir
des passions, de la superstition - nous l’avons montré -, mais aussi du
manque de connaissance. Dans ce sens, l’avancé de la science
provoquerait alors le recul de l’irrationnel.
Ce qui aujourd’hui semble irrationnel à nos yeux, ne le
sera peut-être plus demain : la crise des nombres irrationnels met bien
en évidence cette évolution. Au Ve siècle, en Grande Grèce, les
pythagoriciens constatent qu’il existe une grandeur qu’aucun nombre de
peut mesurer. En effet, ils ne considérait comme nombre que les nombres
entiers et aussi les fractions, nommées plus tard, fractions
rationnelles, comme rapports entre des entiers. La découverte de la
diagonale du carré de coté 1 perturba tout le système. Quel rapport
y-avait-il entre les deux ? Pour le savoir, on chercha la longueur de la
diagonal et par le théorème de Pythagore on trouva que la longueur de
la diagonale est un nombre dont le carré est 2. Quel est ce nombre ?
C’est peu dire que les grecs le cherchèrent, mais aucun nombre, aucune
fraction ne convenait. Les grecs, pour montrer sa non-existence, ont
alors chercher à démonter que ce nombre ne pouvait pas exister : la
diagonale et le coté sont incommensurables. Mais ce simple carré et sa
diagonale recelèrent alors un abîme dans lequel sombrèrent des
certitudes. Le coté et la diagonale d’un même carré n’admettent aucune
commune mesure, ce qui veut dire qu’on ne peut pas connaître exactement
les deux à la fois et pourtant tout les deux peuvent être dessinés et
s’exposent avec le même degré de « réalité ». La coexistence de ces deux
grandeurs prouva que la réalité était plus riche que les nombres. Ce
scandale logique bouleversa la société grecs. Pour l’avoir divulgué à
l’extérieur du cercle des pythagoriciens, Hippase de Métaponte péri dans
un naufrage. L’exemple des nombres irrationnels montre que quelque
chose, qui avait d’abord été défini d’inexprimable (alogon) peut
ensuite, après avoir entraîné une reconstruction de tout l’édifice
mathématique et une extension du domaine accessible au calcul, être
acceptée et enseignée. Cela montre que la science progresse en gagnant
du terrain contre son contraire, l’irrationnel. En termes strictement
scientifiques en effet, est rationnel tout ce qui est reconnu par le
savoir scientifique. Au contraire, est irrationnel ce qui appartient au
domaine de la pensée préscientifique. La rationalité scientifique
consiste alors à aller contre l’irrationnel, c’est-à-dire donner une
formulation positive (scientifique, au sens d’Auguste Comte) à tout. Le
positivisme considère que seules l’analyse et la connaissance des faits
réels vérifiés par l’expérience peuvent expliquer les phénomènes du
monde sensible. La certitude en est fournie exclusivement par
l’expérience scientifique. Il rejette l’introspection, l’intuition et
toute approche métaphysique pour expliquer la connaissance de
phénomènes. Le progrès scientifique semble donc contribuer au recul de
l’irrationnel.
Si l’on peut penser que la science contribue au recul de
l’irrationnel, Hegel, grand penseur de la raison, soutient, lui, une
thèse plus radicale. En effet, il affirme que « tout ce qui est réel est
rationnel, tout ce qui est rationnel est réel. ». Avec une telle
formulation, on peut croire que tout ce qui tombe en dehors de la raison
est de l’ordre de l’inexistant, de l’illusoire ou du superflu. Le
rationalisme dogmatique de Hegel fait donc le choix de chasser
l’irrationnel en dehors de la réalité : on n’accorde une réalité que à
ce que la raison peut expliquer.
On a donc affirmé que l’irrationnel semble provisoire et
potentiellement, il pourrait être complètement réduit. Mais, si
alléguer la présence de l’irrationnel posait le problème de la démission
de la raison, dans l’autre sens, dire qu’il n’y pas d’irrationnel,
c’est poser l’hégémonie de la rationalité : on affirme alors que tout
peut être expliqué par la raison. Cela témoigne dans un sens de la
présomption de l’homme.
A l’opposé de Hegel, Pascal affirme que « La raison doit
reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent : elle
n’est que faible si elle ne va pas jusqu’à reconnaître cela. ». Accepter
qu’il puisse y avoir de l’irrationnel, c’est être rationnel. Il est
rationnel de reconnaître les limites de la raison. « Le cœur a ses
raisons que la raison ignore », dit-il. Ainsi Pascal, reconnaît deux
ordres distincts : celui de la raison et celui du cœur, c’est-à-dire de
la foi. Ainsi, il est certain que l’on ne peut pas ramener à un ordre
rationnel, ni réduire à un sous-produit de tendances inconscientes
toutes sorte d’expériences, comme des expériences spirituelles. De même,
il y a dans l’inspiration artistique un mystère que l’on ne peut pas
ramener simplement à une production rationnelle : les artistes doivent
en effet sortir de la construction rigide de la raison. C’est d’ailleurs
pourquoi, alors que le cerveau construit une méthode, transmet de façon
didactique ses découvertes et ses démarches (dans les choses de la
raison, tout doit être communicable), le génie artistique est
incommunicable. Mais si l’art n’est pas rationnel, il n’est pas pour
autant bestial c’est-à-dire complètement irrationnel. Ces exemples, foi
et art, montre que de nombreuses expériences ne peuvent pas être
entièrement ramenées à un ordre rationnel mais ne sont pas non plus
réduites à l’irrationalité de notre inconscience : il s’agit d’un
milieu.
Même dans la science, qui se présente pourtant comme le
domaine même de la raison, irrationalité et rationalité se confondent.
Comment est-il possible que le monde se plie si bien aux lois de notre
esprit ? Par exemple, le "nombre d’or" , appelé aussi "divine
proportion", est présent dans toutes sortes de représentations
naturelles : agencement d’une graine de tournesol, spirale dessinée par
la coquille de certains mollusques, bras de la Voie lactée et même dans
la croissance des populations de lapins, décrite par Fibonacci au
Moyen-Age. Il apparaît presque « irrationnel » que des phénomènes
naturels aussi différents l’un de l’autre soient liés par un simple
nombre, qui symbolise désormais l’inégalable harmonie, comme dans les
œuvres de grands artistes de Vitruve à Salvador Dali et de Léonard de
Vinci à Le Corbusier. Einstein affirma que « ce qu’il y a
d’incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible ». En effet,
le fait de dire que la science, le cosmos obéissent à des lois
mathématiques manifeste une sorte d’irrationalité au cœur même des
victoires de la raison. De plus, les découvertes scientifiques
proviennent souvent d’une intuition. Cela s’oppose alors à une
déduction, qui se doit de respecter des règles de logique. Pour
Descartes une intuition est un acte de saisie immédiate de la vérité.
Chez Kant, l’intuition désigne la façon dont une objet nous est donné,
et il ne peut y avoir pour l’homme que des intuitions sensible. Il
semble qu’une intuition puissent trouver sa mise en forme dans des
influences irrationnelles. La science, elle aussi, n’est donc pas
seulement rationnelle : on ne pourrait d’ailleurs opposer rationnel et
irrationnel, puisque le rationnel naît sur le terrain de l’irrationnel.
Par exemple, c’est grâce à l’alchimie que la chimie est née, c’est par
le travail des astrologues que les astronomes ont étudié l’univers : en
règle général, les sciences occultes servent souvent de base pour les
sciences positives.
Au lieu de marquer une opposition, il serait donc peut
être plus juste de marquer une continuité. Croire que tout est
rationnel, c’est peut-être le comble de l’irrationnel ou pour sur de la
déraison : expulser l’irrationnel ne serait-ce pas expulser le désir,
les tendances et donc les forces sans lesquelles il serait difficile de
bien vivre. Ce qui est ne se laisse pas facilement découper en
catégories tranchées, les choses du réel sont plutôt mêlées : toute
production humaine, actions humaines, pensées oscillent entre les deux
sources, comme dans le cas de l’art. On ne peut dans ce sens prétendre
posséder sur nos pensés un empire rationnel constant, puisque déjà dans
les rêves, la pensée est livrée a elle-même.
On a donc montré dans un premier temps que l’irrationnel
semble bien exister, notamment dans le domaine des passions, du hasard
ou de la superstition. L’irrationnel apparaît alors comme un obstacle
pour la raison ce qui pose le problème de la faiblesse du rationnel : la
raison ne devrait-elle pas abdiquer ? Mais, on a montré ensuite que
l’irrationnel est provisoire, qu’il peut être complètement réduit pas la
raison. Ainsi, on pourrait trouver une logique dans tout, même dans les
passions. L’irrationnel n’existe donc pas en soi, mais n’appartient
qu’a nous. Enfin, on a montré que la majorité des pratiques humaines ne
peut pas être entièrement ramenée à un ordre rationnel mais n’est pas
non plus réduite à l’irrationalité de notre inconscience : irrationnel
et rationnel seraient donc deux contraires nécessaire pour expliquer le
réel. Pour Hegel en effet, les passions, qui témoignent visiblement de
l’irrationnel, résultent d’une ruse de la raison : pour se développer
elle se sert de son autre, de son contraire. Selon Hegel, l’irrationnel
se révèle comme moteur du rationnel. Pour que ce dernier puisse
s’exercer il lui faut des résistances, l’irrationnel les lui fournit. Il
semble en ce sens que l’irrationnel soit finalement la raison d’être du
rationnel.