Qu’est-ce qu’une révolution par L., terminale L
Qu’est ce qu’une révolution ?
Le terme de révolution vient du latin "revolvere" qui
exprime l’idée du retour sur soi, d’une réitération, sens en
contradiction avec l’usage actuel du terme mais qui éclaire les
significations multiples et le caractère problématique du terme
révolution. En effet, on peut comprendre la révolution au sens premier
comme un mouvement en courbe complet, retour d’un astre à son point
d’orbite ou encore la rotation complète d’un corps autour de son axe. On
parle en effet de révolution de la terre et cette signification rend
bien l’idée de retour et de répétition que véhicule ce terme, se
réfèrant d’abord à ce qui est cyclique, on parle en effet de révolution
cardiaque lorsque s’accomplit un cycle cardiaque. Le sens du terme
glisse ici, une révolution désigne "l’écoulement d’une période de
temps", l’achèvement d’un cycle, son accomplissement. Alors la
ré-volution prend la nuance d’une ré-action, d’une rupture, et non plus
seulement d’une ré-itération. C’est dans ce glissement de sens que germe
la problématique, puisque si l’on s’en tient au premier sens fidèle à
l’étymologie latine, la révolution n’est que répétition, il n’y a pas de
rupture entre les cycles, qui ne font que se succéder, pas de place
pour l’action de l’homme, pas de liberté, la révolution en termes de
changement et renouveau semble une illusion. Cependant, si l’on suit le
glissement du sens, on laisse entre le cycle accompli, le passé, et le
cycle futur, l’espace non seulement pour une réaction mais aussi pour
une action, l’espace à la liberté humaine qui insère du nouveau,
projette, et ainsi, crée le futur et prend part à la formation du cycle
suivant... la révolution alors est rupture, intervention enthousiaste de
l’homme dans l’histoire qui se déploie dans différents domaines. C’est
pourquoi on parle de révolution en politique, en science, de révolution
en art ou de révolution intérieure.
Une révolution se distingue d’une révolte et d’une
rébellion qui ne sont que ses formes initiales et n’a en commun avec
elles que son caractère d’abord ré-actif. En effet, la rébellion est
soulèvement, insurrection, mutinerie qui devient révolte quand elle
s’intensifie, s’accompagne de violence, la révolte étant une action
collective d’un groupe qui refuse l’autorité politique existante,
l’ordre établi et donc une forme de désobéissance, d’insoumission,
indignation, contraire de la résignation. Or on verra que la révolution
ne se limite pas à cela, elle est aussi action et non seulement
réaction, aussi évolution et non seulement révolution. Elle n’est donc
pas réductible à la révolte celle qui fait dire à Camus que "la révolte
métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa
condition". Il ne faut pas confondre non plus révolution et réforme car
celle-ci lente peut être entreprise sans révolution. La réforme n’est
pas rupture mais maturation.
La révolution peut être un changement brusque de l’ordre
social, politique et moral, un renversement ou bouleversement qui clot
un cycle et en ouvre un nouveau. Telle est son ampleur, bien supérieure à
celle d’une révolte en ce qu’elle aspire à une transformation complète.
Ce bouleversement caractérise la révolution industrielle, révolution de
la technique et du travail qui va modifier profondément la société,
avant elle la révolution néolithique qui voit l’invention de
l’agriculture et enfin la révolution scientifique. En effet, la
révolution copernicienne de la connaissance donne naissance à la science
moderne, entreprise au XVI siècle par Galilée elle permet de voir la
différence entre la science des anciens contemplative, finaliste,
substantialiste et qualitative et la science moderne qui est
quantitative, construite et donc non ontologique. La révolution
copernicienne est un changement radical de point de vue qui clot
véritablement toute un période et un rapport au monde et à la
connaissance : au lieu de soumettre la raison au réel, on soumet, depuis
la révolution galiléenne, le réel à la raison.
D’autre part, une révolution peut être l’ensemble des
changements qui ont lieu quand un groupe en insurrection prend le
pouvoir, changements politiques, économiques et sociaux. On parle par
exemple de révolution bourgeoise, prolétarienne, socialiste et c’est
encore le cas de la révolution française ou des révolutions islamiques.
La question est d’étudier la révolution en soi, le sujet
ne nous interroge pas sur ce qui fait que les hommes font des
révolutions, sur le pourquoi, mais sur la révolution en elle même, sur
ses caractéristiques et sa valeur. Il ne s’agit pas seulement de
réfléchir à la révolution mais de comprendre ce que comporte penser la
révolution, quels en sont les enjeux par rapport à la place de l’homme
dans l’Histoire.
Penser la révolution comme une répétition, comme une
succession de cycles en restant fidèle à l’étymologie latine, équivaut à
nier la place de l’homme dans l’histoire, qui avance "naturellement"
d’elle même et c’est cela qui porte à affirmer que ce ne sont pas les
hommes qui entreprennent une révolution mais que c’est elle qui emploie
les hommes. En ce sens, concevoir la révolution au sens fréquent du
terme comme un changement ou bouleversement est illusoire, en ce qu’il
n’existe pas réellement d’autre révolution que la continue répétition de
l’histoire. En effet, la révolution ainsi pensée est une illusion,
selon Marx quand les rapports de production empêchent à un moment donné
les forces de production de se développer, l’effet se retourne contre sa
cause, cela se répercute sur la superstructure et la conscience vient
s’opposer à la vie matérielle, elle réclame un bouleversement social,
une révolution quand le problème est déjà résolu dans la vie matérielle.
Encore, même quand les hommes semblent transformer le monde et créer
quelque chose de tout à fait nouveau, les hommes ne font que
s’approprier des mythologies passées. C’est ce qu’explique Marx, dans
les époques révolutionnaires les noms, les devises, les costumes du
passés sont repris, comme "la révolution de 1789 se drapa dans le costumes de la République romaine".
Cependant, si l’on pense la révolution comme réaction et
même comme action, alors elle acquiert d’emblée une valeur différente.
En effet, dire que la révolution est une réaction c’est laisser une
place à l’homme dans l’histoire, bien qu’il ne fasse que ré-agir après
coup, se rebeller, refuser, réclamer un changement. C’est en pensant la
révolution comme action qu’on admet une rupture, que la conception de
l’Histoire et de l’homme change puisque du refus du vieux et du passé on
crée du nouveau et du futur.
Entendre la révolution dans le sens le plus fréquent et
actuel du terme, c’est affirmer la liberté des hommes qui peuvent par
leur volonté s’unir et changer le cours des choses, intervenir dans
l’Histoire. C’est affirmer que les hommes font l’Histoire librement,
leur projection dans le futur et leur souci d’universalité se révèle
dans le capacité à faire une révolution, qui est la ratio cognoscendi de
la liberté. Penser la révolution en tant que changement revient donc à
penser que l’homme est capable de produire du nouveau. Or, comme
l’explique Hannah Arendt, l’essence de l’homme est dans sa faculté
d’action en ce qu’agir c’est commencer du nouveau. N’est ce pas la
véritable liberté que de pouvoir créer du nouveau ? Penser la révolution
c’est donc penser la liberté d’autant plus que l’action libre qu’est la
révolution est une liberté mondaine qui se réalise avec l’altérité, qui
n’est pas a-cosmique.
Toutefois, la révolution est-elle toujours souhaitable
et révélatrice de la liberté ? La révolution culturelle est dans la
Chine de Mao un mouvement politique qui lutte contre les influences du
passé dans la vie sociale et qui limite la liberté en entretenant les
hommes dans une ignorance qui justement les empêche de prendre
conscience de leur situation et de se révolter. Quelle est alors la
véritable valeur a accorder à la révolution ? Ne faut-il pas la penser
autrement pour qu’elle soit légitime ? Penser la révolution nécessite
peut être que l’on pense la crise en ce qu’elle peut en être la réponse.
En effet, il se peut que l’Histoire avance par crises et révolutions,
que les hommes aussi, connaissent crises et réponses aux crises.
Pour comprendre la révolution il faut alors recourir la métaphore du trésor perdu que propose Hannah Arendt dans la préface de La crise de la culture
qui explique que l’histoire des révolutions pourrait être racontée sous
la forme d’une parabole comme la légende d’un trésor perdu qui apparaît
brusquement et disparaît mystérieusement. Trésor qui peut être "n’a jamais été une réalité mais un mirage", une apparition, puisqu’il n’a pas de nom, tel est "le trésor perdu des révolutions"
qui en Amérique avait le nom de "bonheur public" et en France celui de
"liberté publique". Trésor perdu et oublié par les mêmes qui l’ont
possédé et bien qu’ils n’aient pu leur donner de nom, toute sa valeur,
toute la valeur de la révolution, est au delà de la victoire ou de la
défaite car "l’action qui a un sens pour les vivants n’a
de valeur que pour les morts, d’achèvement que pour les consciences qui
en héritent et la questionnent".
Ainsi, ce trésor a une valeur telle qu’en son absence
les hommes se trouvent écartelés entre un passé dépassé qui n’éclaire
pas le futur et un avenir infigurable. Ils se trouvent donc dans un
intervalle, une brèche entre le passé et le futur puisque le trésor a
disparu. Sans dénaturer la pensée d’Hannah Arendt nous pouvons réfléchir
à la valeur de la révolution qui est enrichissante et fondamentale même
s’il elle un mirage puisqu’elle est projet, engagement dans l’action en
vue d’un avenir possible.