Que gagne-t on à perdre ses illusions ?
Dissertation d’ Angèle C., terminale ES
’’Est illusion le leurre qui
persiste même quand on sait que l’objet supposé n’existe pas.’’ Kant
dévoile ici la part de simulacre dans l’illusion en la qualifiant de
’’leurre’’. En effet, l’illusion, du latin ’’illudere’’, est une
tromperie qui semble se jouer de nos sens, l’illusion sensible, ou de
notre esprit, l’illusion intellectuelle. Proche de l’erreur, dans la
mesure ou elle fait également intervenir un jugement erroné, elle s’en
distingue également par la présence du désir qui la rend rebelle à toute
réfutation rationnelle, c’est dans ce sens qu’elle ’’persiste’’. Ainsi
la définition de Kant nous montre aussi sa racine indestructible.
L’illusion est donc une image subjective de la réalité prise pour la
réalité, c’est pour Platon une ’’ignorance redoublée’’, une ignorance
qui s’ignore.
Dans l’illusion nous serions donc victimes d’une puissance trompeuse
qu’il faudrait vaincre. Mais comment alors perdre ses illusions, quelles
armes sont en mon pouvoir pour faire face à ce voile qui s’entremet à
mon insu entre mon esprit et la réalité ? Si l’illusion est considérée
comme devant être dépassée malgré la difficulté que cela représente,
quel en est l’intérêt, le gain que l’on peut en retirer ? La perte de
nos représentations illusoires est-elle alors la condition de la vérité,
de la lucidité, du bonheur, de la liberté ?
Cependant si dans l’illusion, nous sommes victimes,
c’est bien souvent d’un piège que nous avons bâti nous mêmes. Pour
Descartes, ’’nous conspirons avec nos illusions agréables pour en être
plus longtemps abusés.’’. Il y aurait alors un aspect doux et chaleureux
dans le monde illusoire qui vient, dans nos représentations, se
substituer au réel en le rendant plus humain, moins dur. Faut-il
vraiment alors systématiquement arracher toute illusion à l’homme ? A
perdre ses illusions, est-on vraiment plus gagnant que perdant ? Est-ce à
la portée de l’homme que perdre toutes ses illusions ?
Si d’un coté l’on considère que l’illusion est un
mensonge qu’il nous convient de démasquer, et que de l’autre la perte
totale d’illusions n’est pas forcément souhaitable, ni réellement
possible, quel rapport devons nous entretenir avec ce leurre
protecteur ? Comment prendre la mesure de nos illusions dans un souci de
lucidité et d’authenticité qui ne soit pas contradictoire avec
l’épanouissement de l’homme ?
Si l’illusion est dans un premier temps considérée comme
une tromperie dont nous sommes victime car elle nous impose une vision
erronée du monde ; il convient de la démasquer pour tendre vers la
connaissance et la vérité.
Prenons d’abord les illusions des sens. Ce sont celles
qui de la manière la plus évidente nous trompent, car ces illusions sont
bien ’’réelles’’ ; elles obéissent à des lois d’organisation du champ
perceptif tout aussi régulières que celles qui régissent notre
perception dite ’’normale’’. Descartes, dans Les Méditations, montre
cependant comment c’est par abus de langage que nous disons que nos sens
nous trompent, et distingue l’illusion de l’erreur. L’erreur est un
résultat de notre jugement, c’est à dire d’une activité de l’esprit. Or
les sens sont passifs, et fournissent des informations qui, en
elles-mêmes, ne sont ni vraies ni fausses. Si donc nous nous trompons,
c’est que nous conduisons mal notre jugement. Un bâton plongé dans l’eau
paraît effectivement brisé, mais si nous jugeons qu’il l’est, nous ne
sommes pas victimes d’une illusion, mais responsables de notre erreur.
L’illusion peut bien, si nous n’y prenons garde induire en erreur, mais
elle n’est pas en elle-même une erreur. Notre raison et notre
entendement sont donc des armes contre les illusions, puisque si nous en
usons bien, par la même que l’erreur sera dépassée, l’illusion qui en
était la source sera démasquée.
C’est donc par la connaissances des lois physiques, de la science, que
ce premier niveau de la connaissance qu’est la perception peut être
expliquée. En effet la science, en cela qu’elle étudie le réel et se
propose de l’expliquer, est un moyen de dépasser nos illusions. De plus
la science amène à une glus grande connaissance, cette dernière ayant
pour but de rendre présent à notre intelligence un objet en essayant
d’en posséder la représentation la plus adéquate avec la réalité nous
permet aussi de dépasser l’illusion. Le monde auparavant inexplicable
devant lequel les hommes comblaient leur ignorance par des explications
mythologiques ou bien par la religion qui explique à sa manière la
genèse, ce monde devient alors un objet d’étude, un immense chantier à
notre portée. Ainsi nous sommes portés dans notre rapport avec le réel
vers une maitrise de la nature. C’est l’idée d’avancée technologique et
de progrès qui s’oppose ici à la perception spontanée, irréfléchie et
illusoire du monde.
Platon dans L’Allégorie de la Caverne
montre notre condition première d’hommes plongés dans le monde matériel
et visible : nous n’y voyons jamais que des reflets trompeurs, des
images d’images du réel, que l’habitude nous fait prendre pour la
réalité même. Ce monde là nous rend prisonniers des apparences. Pour
Platon, le moyen d’atteindre des vérités supérieures, donc de dépasser
nos illusions, est dans l’éducation philosophique. La nature des
prisonniers ’’n’est pas éclairée par l’éducation’’, c’est pour cela que,
n’ayant vu d’autre monde que celui de leurs représentations, ils
croient spontanément avoir affaire au monde réel. Au delà de la caverne,
c’est à dire du monde sensible, le monde du changement de la
multiplicité et de la diversité, se situe le monde des Idées ou réside
un savoir universel, intemporel et véritable. C’est vers ce monde des
Idées et de la vérité qu’il faut tendre pour échapper aux illusions de
la caverne et avoir une chance au bonheur qui réside dans la
connaissance. L’arrachement au sensible et la montée vers l’intelligible
constitue la mission de l’éducateur philosophique qui peut passer par
la maïeutique ou l’art d’accoucher les idées, qui vise à purger l’âme
des simulacres, des préjugés de la doxa, du pseudo-savoir qui empêche
l’homme d’être à l’écoute de la vérité. L’éducateur philosophique est
dans l’allégorie représenté par celui qui détache le prisonnier et le
force à gravir ’’la montée rude et escarpée’’ qui mène au savoir. La
maïeutique passe dans un premier temps par la prise de conscience de son
ignorance, Socrate affirmait ’’la seul chose que je sache c’est que je
ne sais rien.’’. C’est en cela une voie vers la perte d’illusions qui
réside dans la prise de conscience d’une absence de conscience
antérieure.
Si les illusions sont souvent considérées comme
destinées à être dépasser, c’est aussi car elles s’apparentent à la
figure du naïf évoquée par exemple par Voltaire dans son conte
philosophique Candide. Candide représente la figure du naïf optimiste, de ’’l’imbécile heureux’’, qui vit dans l’illusion que ’’tout est bien dans le meilleur des mondes possibles’’
(Voltaire s’attaque à la théorie de l’optimiste revendiquée par des
philosophes tels que Pope et Leibniz). A la suite de nombreuses
mésaventures dans le cadre d’un voyage autour du monde, Candide prend
conscience de l’ampleur du malheur sur Terre, des injustices, des
horreurs : il se désillusionne. Sa vision infantile et naïve des
réalités qui sont plus dures que les représentations qu’il s’en était
faites (plus douces, agréables, rassurantes) se désagrège peu à peu. A
la fin de sa ’’quête d’apprentissage’’, Candide devient l’exemple même
de la sagesse lorsqu’il se résout à ’’cultiver son jardin’’ c’est à dire
qu’il accepte le monde tel qu’il est tout en visant à son amélioration,
qui loin d’être idéalisée est réalisable dans le domaine du possible,
dans ’’son jardin’’, sa vie quotidienne, son intériorité. L’épreuve de
la vie porte au désillusionnement et à la sagesse. Ce sont d’ailleurs
souvent les plus jeunes qui ont le plus d’illusions et en général plus
l’homme est confronté à la vie, plus il devient clairvoyant face à ce
qui l’entoure. Peu à peu, le merveilleux et la vision enchantée du monde
se dissipe grâce notamment à l’éducation et à l’expérience de la vie.
C’est la figure du sage lucide qui s’oppose à l’enfant bercé d’illusions
qui rejoint l’idée de Freud d’un ’’stade de l’infantilisme’’.
Plus que l’illusion d’un monde parfait et juste, Freud
critique l’illusion religieuse. Il considère que Dieu a été inventé par
l’homme pour se recréer une figure paternelle rassurante, pour apaiser
l’angoisse de la mort par la possibilité d’un salut, pour apaiser
l’angoisse qui découle de l’ignorance des hommes sur la création du
monde et de la vie et à propos du sens de leur présence sur terre. Ce
serait alors l’homme qui aurait créé Dieu à son image et non le
contraire. Mais il souligne que ’’l’homme ne peut pas éternellement demeurer enfant’’
et qu’il doit se confronter à sa détresse, à sa petitesse dans
l’ensemble de l’univers. Marx va dans le même sens en affirmant que la
religion est ’’l’opium du peuple’’, qu’elle permet d’apporter une
chaleur dans un monde cruel. Il prône l’abolition de la religion en tant
que bonheur illusoire et aliénant du peuple et exige son bonheur réel.
D’autre part, la perte de ses illusions, plus
particulièrement celles affectives dans le domaine de la vie privée,
mène à plus de liberté car elle signifie plus de lucidité, une meilleure
compréhension générale de la société, de soi, d’autrui. Des meilleurs
choix de vie sont alors possibles dans des conditions de lucidité et de
compréhension de la situation dans laquelle nous nous trouvons, des
possibilités qui nous sont offertes, des enjeux de notre choix et de ses
conséquences. On peut penser que l’on se doit à soi-même de regarder
les choses en face afin de prendre sa vie en main.
Ainsi, nous gagnons de la lucidité et la liberté qui en
découle, une proximité majeure à la vérité, une vie plus
’’pied-à-terre’’. C’est d’autre part par la science, la raison,
l’entendement, l’éducation et l’expérience que l’on démasque les
illusions dont nous sommes victimes dans un souci authenticité. Mais
sommes nous vraiment victimes de nos illusions ? Pour Descartes, ’’nous
conspirons avec nos illusions agréables pour en être plus longtemps
abusés’’, plus que leurs victimes nous serions alors leurs complices car
nous nous en auto-convainquons. Mais si nous nous faisons les adjuvants
de nos illusions, elles nous apportent forcément quelque chose. A
vouloir perdre ses illusions, perdrait-on alors plus que l’on ne gagne ?
Dans un premier temps, la conscience aigüe de sa propre
personne, de ceux qui nous sont chères et des sociétés humaines, le fait
de voir la réalité en face, ses injustices, ses misères ne peuvent que
nous attrister et nous rendre malheureux. En effet, la satisfaction
éprouvée par ceux qui se réjouissent des malheurs des autres n’est pas
un bonheur sain et elle s’apparente à la perversité. Par exemple, la
vision extrême, celle des pessimistes, prône une lucidité suprême sur la
condition humaine et affirme son absurdité fondamentale et son malheur
radical.
Les illusions sont donc un voile protecteur face à la cruauté du monde. La perte des illusions peut alors avoir pour effet de ’’désenchanter le monde’’
selon la formule de Weber. On parle de désenchantement lorsqu’une
réalité perd de son mystère et qu’il n’existe plus d’écart entre ce
qu’elle est et la manière dont elle apparaît. Pour Weber, la
modernisation se caractérise par le recul des croyances diverses, allant
de la magie à la pratique religieuse. Ce désenchantement s’accompagne
d’un processus appauvrissant par lequel l’homme se simplifie et finit
par n’être plus qu’un maillon d’une longue chaine sociale sans identité
propre ni valeurs à suivre.
Les illusions peuvent donc avoir du bon, la religion par
exemple, véhicule des valeurs d’amour et de paix, et apaise la douleur
des endeuillés en les rassurants sur le sort de leurs morts, leur
promettant une autre vie, plus paisible et accueillante, leur assurant
la rédemption. La religion est aussi porteuse de foi, et il est alors
incorrect de concevoir la religion comme une aliénation due a une
illusion. Ce en quoi on la foi n’est pas démontrable, mais exige un
degré de confiance au moins égal à celui que produirait une
démonstration. La foi est un engagement qui se veut lucide, c’est un
comportement volontaire qui malgré le fait de savoir qu’il ne pourra
jamais prouver l’existence de ce en quoi il a foi, décide d’y croire. En
cela la foi est courage. C’est une croyance qui a conscience d’être
croyance reposant sur des principes et des valeurs et engageant une
décision de la volonté. C’est donc aussi l’expression de la liberté. De
plus le fait de nier l’existence de Dieu est tout aussi probable d’être
une illusion.
Ainsi l’on peut être amené à se demander si ceux qui
prônent la perte de l’illusion au profit de la vérité ne seraient-ils
pas victimes d’une nouvelle illusion ? La perte des illusions
serait-elle l’illusion ultime ? Pour Nietzsche, ’’les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont’’.
Notre représentation du monde est forcément illusoire, car elle dépend
de notre entendement, de notre manière de voir les choses, de notre
subjectivité. La thèse du relativisme affirme contrairement à Platon que
la vérité est relative aux individus. Une connaissance absolue est
impossible, illusoire. L’homme tout en se targuant de vaincre ses
illusions, s’en créé de nouvelles. Il en va de même pour la foi dans le
progrès qui est associé à une constante amélioration de la connaissance
et de la maitrise de la nature ( progrès scientifique), des moeurs, de
la politique, des arts (progrès de la civilisation), alors que la
progrès peut aussi être négatif (lorsque la technologie atomique est
mise au service de la bombe par exemple et plus généralement lorsque
l’on ne se soucie pas de l’éthique pour envisager la mise en application
de découvertes scientifiques) .
Si incapable de les perdre entièrement, l’homme remplace
ses anciennes illusions par de nouvelles, c’est car il en a besoin pour
vivre, si les illusions sont indispensables à la vie cela est du à la
part de désir et d’espoir qu’elle comportent. Désirer et espérer, c’est
d’abord inscrire son existence dans la durée puisqu’ils sont
inséparables de la projection dans l’avenir. En effet le désir est doté
d’intentionnalité, il introduit de l’imaginaire dans le réel. Lorsque le
désir prend la forme d’un projet ou d’un rêve, il nous arrache au ’’ici
et maintenant’’ de l’existence ponctuelle, il est tourné vers le futur.
Il peut ainsi permettre le dépassement d’une situation difficile par
exemple. L’homme est mû par ses rêves et ses illusions. Sans eux,
qu’est-ce qui rattacherait l’homme à l’absurde existence ?
D’autre part, les illusions ont pour Nietzsche une très
grande importance dans le processus de maturation d’un peuple ou d’un
homme. Il affirme que ’’l’homme ne créé que (…) quand il
baigne dans l’illusion de l’amour, c’est-à-dire qu’il croit de façon
inconditionnée à quelque chose de juste et de parfait.’’ Le Candide
déniaisé est pour Nietzsche un homme qui ne fera jamais rien de grand,
qui ne se dépassera jamais, car la perte de ses illusions l’a
’’desséché’’ il est devenu ’’dur et stérile’’. Il est vrai que des
illusions ont porté à de grandes réalisations, par exemple l’idée que la
justice et l’égalité sont possibles sur Terre ont abouti à la
démocratie qui est le moins imparfaits des systèmes politiques.
Si donc, comme nous l’avons montré théoriquement, les
illusions sont néfastes et que nous gagnerions à nous en débarrasser, et
d’autre part, les illusions ont une fonction vitale et apaisante,
comment concrètement affronter cette question dans la pratique ? D’autre
part, si une vision dépourvue d’illusions n’est possible que dans le
monde des idées, ce qui impose à l’homme de s’isoler du monde et
d’autrui et de dédier sa vie aux idées, alors que le rattachement au
monde sensible et à la société implique forcément des illusions ;
comment tendre vers la connaissance sans renoncer à sa nature d’animal
social ? Il faut pouvoir tout à la fois se libérer des illusions
négatives et se rattacher aux positives.
Les illusions négatives sont celles qui nous enlèvent
une part de liberté et sont issues de discours trompeurs et
manipulateurs. Par exemple les médias en sélectionnant l’information,
font passer une vision de la réalité qui n’est pas neutre. On voit
souvent comment les crimes ou délits commis par les immigrés sont
beaucoup plus mis en valeur que ceux commis par des citoyens ’’de
souche’’, et ceci encourage le racisme et le repli vers l’extrême droite
car les individus auront l’illusion que la violence est uniquement le
fait des étrangers qui ne sont rien d’autre qu’un élément perturbateur.
Lorsque l’information est manipulée pour faire passer des messages
politiques, la population qui subit l’illusion perd de sa liberté car
ses actions et manières de penser seront influencés par cequ’ils lisent
dans les journaux ou voient à la télé. C’est pour cela qu’il faut
absolument veiller à l’indépendance des médias face aux détenteurs du
pouvoir politique. Une autre illusion qui nous assujetti est celle que
véhicule la publicité. Les techniques de communication et de marketing
visent à créer des besoins inexistants aux individus afin de les pousser
à consommer. La publicité fait passer l’illusion que le bonheur réside
dans la possession, que l’on peut marquer son identité par rapport aux
marques que l’on consomme. D’autres part, les stéréotypes véhiculés par
ces publicité sde ce qui est beau et désirable sont souvent favorables
aux classes dominantes. Les classes dominées sont donc amenées à croire
que la classe dominante est une élite, un modèle qu’il faut imiter.
Ainsi les marques montrent l’appartenance sociale d’un individu et
donnent de l’importance à l’illusion qu’est l’apparence. Les classes
dominées sont donc manipulées par des illusions pour que le prestige et
le modèle à suivre demeure du camp des dominants. Des illusions
transmises par les dirigeants politiques peuvent aussi manipuler le
peuple. Par exemple, les dirigeants ont tout intérêt à donner l’illusion
d’un quelconque menace sur la sécurité, à faire régner la peur. Ils
peuvent ainsi se présenter en sauveurs et gagner l’adhésion du peuple.
Il n’est pas anodin que les dirigeants mettent l’accent sur la
délinquence au alentours des élections présidentielles et qu’il
rabâchent ensuite un discours sécuritaire pour gagner des voix. Il en
est de même lorsqu’un pays veut justifier une guerre, le gouvernement
crée l’illusion d’une menace, par exemple celle que l’Irak détenait des
armes de destructions massives, ou celle que les afghans sont tous des
terroristes. Il faut faire attention à ne pas être abusés par ses
illusions et se rendre compte qu’elles servent les intérêts d’autrui,
ceux qui dans l’allégorie de la caverne seraient les marionnettistes qui
mettent en scène la pseudo-réalité. Il faut perdre ces illusions quand
elles sont un instrument de manipulation servant les intérêts de ceux
qui les diffusent.
Les illusions positives doivent être considérées avec
précaution : il faut pouvoir prendre de la distance par rapport à ce que
l’on pense, ne jamais oublier qu’il est très facile de tomber dans
l’illusion. Cependant les illusions sont positives lorsqu’elles
procurent de la force, elles poussent l’individu à se réaliser par
rapport à ses idées. Par exemple, lorsque l’on croit en une idéal, bien
que la généralisation et la mise en place systématique de cette idéal
soit illusoire car le monde ne sera jamais parfait, ceux qui savent que
c’est une illusion mais la trouvent noble, pourront se battre pour elle.
John Lennon qui dans sa chanson ’’Imagine’’, hymne à la paix, et dans
son combat contre la guerre du Viet Nam, admet qu’il est un rêveur, mais
c’est justement son rêve qui le pousse à agir, à s’engager, et à faire
changer les choses. C’est le cas dans la croyance en un idéal ou une
utopie qui pousse malgré les apparences à croire à un mieux possible.
En fait, plus généralement il est très difficile de
distinguer les bonnes des mauvaises illusions. Une illusion peut avoir
des conséquences positives ou négatives dépendant du contexte. La
religion a permis à la fois la diffusion de valeurs de paix et d’amour
mais aussi de nombreuses guerres de par le monde. Il est donc impossible
de juger à priori de la valeur d’une illusion, mais il faut
s’interroger sur ses conséquences et voir si elles sont en accord avec
la morale. Il revient à chacun d’entre nous d’être prudent avec nos
idées, de ne pas être fermé ou dogmatique dans sa vision du monde, et de
choisir entre les illusions à éradiquer et celles que l’on préfère
garder pour garder l’espoir tout en sachant que ce sont peut être des
illusions mais que ce sont des illusions qui valent la peine d’être
crues. A chacun de choisir ses illusions, mais à chacun la
responsabilité d’en répondre.
Il s’agissait de savoir si l’on était plutôt gagnant ou
perdant de se désillusionner. Nous avons vu que cela dépendait des cas.
Si les illusions sont quelques fois trompeuses, c’est qu’elles nous
voilent la réalité, orientent notre appréciation du monde, restreignent
la libre décision de nos choix, et influencent nos jugements. En cela
elle nous asservissent, et donnent du pouvoir à ceux qui les véhiculent.
Elles nous gènent dans nos prises de décision et nos choix seront
peut-être regrettables car non basés sur une connaissance juste et
exacte de la situation dans la quelle on se trouve. Il faut donc être
prudent, et ne pas croire naïvement à toute sorte de choses. Il faut
bien se rendre compte que l’on est responsable de ce à quoi l’on croit
et ne qu’il tient souvent qu’à nous de dépasser les illusions négatives
en usant de la raison, de l’entendement, des sciences et de l’éducation
notamment à la philosophie. Mais certaines illusions sont aussi une
branche à laquelle nous nous raccrochons pour ne pas tomber dans le
gouffre que représente parfois le monde cruel, hostile et indifférent.
Il résulte parfois du désillusionnent une vision pessimiste du monde,
plutôt qu’une réaliste, et ceci découle du fait de la fonction vitale de
l’illusion. Lorsqu’elles ne sont pas par nature irréalisables ou hors
de notre portée, lorsqu’elles s’inscrivent dans le domaine du possible,
les illusions d’aujourd’hui sont peut être les réalités de demain. Ainsi
les illusions qui nous donnent espoir nous rendent actifs, et parfois
la force de volonté est assez grande pour que les ’’rêves deviennent
réalité’’. Ces illusions nous poussent à accomplir de grandes choses, et
nous rattachent à l’existence. Les illusions pouvant être un pont entre
le présent et l’avenir, qui nous permettent d’envisager une existence
pourvue de sens, celles qui nous poussent à nous réaliser et à nous
épanouir, sont donc indispensables, et l’on ne gagne rien à les perdre
sinon une vision désenchantée et cynique du monde. Il faut donc dans un
premier temps faire le tri dans ses représentations de ce qui est
susceptible d’être illusoire ou non, et dans un second temps,peser le
pour et le contre pour abandonner celles qui valent mieux de l’être et
conserver celles dans lesquelles l’on choisit volontairement de croire,
avec l’exemple de la foi ou de l’idéal qui sont engagement.